Force 136 : l’histoire vraie qui a inspiré le livre illustré Endgame

une couverture de livre. La couverture dit « Catherine Little. Endgame : the secret Force136. Illustré par Sean Huang » La couverture est illustrée de parachutistes de la Seconde Guerre mondiale dans le ciel et de la main d'une personne jouant aux échecs chinois.

L’entrée de notre maison est décorée avec plusieurs photos de famille qui ont beaucoup de valeur pour nous. Parmi celles-ci, on retrouve des portraits d’Elizabeth Langman, une grand-tante du côté de la famille de mon mari. Tante Elizabeth a servi comme infirmière militaire en Afrique et en Italie pendant la Deuxième Guerre mondiale. Outre ces images, nous ne savons pas grand-chose de ce qu’elle a vécu pendant son service, puisqu’elle en a très peu parlé à son retour. Nous savions cependant qu’elle était courageuse, et ces photos sont un moyen pour nous de lui rendre hommage.

Image en noir et blanc de deux infirmières militaires devant une tente militaire. Elles sont debout et tiennent des bols. Celle de gauche appuie sur un robinet d'eau tandis que l'autre recueille l'eau qui s'écoule.
La grand-tante de mon mari, Elizabeth Langman (à gauche), a servi comme infirmière militaire pendant la Seconde Guerre mondiale.
Photographie en camaïeu sépia d'un soldat en uniforme. Il tient un fusil et regarde vers sa droite.
L’arrière-grand-oncle de mon mari, William Harry Little, qui a servi pendant la Première Guerre mondiale.

En tant qu’immigrante d’origine chinoise, je pensais que la contribution des Sino-Canadiens à l’histoire du Canada se résumait à la construction du chemin de fer. Après la fin des travaux de construction, la taxe d’entrée et la Loi sur l’immigration chinoise de 1923 ont lourdement restreint les droits de la communauté chinoise au Canada. Cette loi est restée en vigueur jusqu’en 1947. Durant cette période, moins de 50 immigrants d’origine chinoise ont été admis au pays.

Malgré mes années comme étudiante et comme enseignante en Ontario, je n’ai jamais entendu parler des contributions des Canadiens d’origine chinoise à l’effort de guerre. Quand mon mari et moi avons eu notre fils, je lui ai parlé de tante Elizabeth et d’autres membres courageux de la famille de son père. Il a même choisi de faire un projet d’histoire sur son arrière-arrière-arrière-grand-oncle, William Harry Little (1890–1918), un soldat du 38 ᵉ bataillon d’infanterie qui est mort après avoir été blessé lors de la bataille pour la route principale Douai-Cabrai en France. Mais ce n’est qu’à l’approche du jour du Souvenir, en 2017, que j’ai découvert l’existence de la Force 136, d’abord dans un article de CBC, puis dans un documentaire intitulé « Force 136: Chinese Canadian Heroes ».

Je me souviens avoir lu l’article de CBC qui citait l’ancien combattant Ronald Lee, alors qu’il racontait son « “aventure” en Birmanie pendant la Deuxième Guerre mondiale, dans le cadre d’une périlleuse opération secrète menée par les Britanniques ». Ronald Lee a ensuite décrit un Canada qui refusait aux Canadiens d’origine chinoise l’accès à l’université, les privant ainsi de toute possibilité de devenir enseignants, médecins ou avocats. Il dit avoir été traité comme un citoyen de seconde classe. Malgré tout, ce jeune homme issu d’une famille de cinq garçons du quartier chinois de Vancouver s’est porté volontaire pour faire partie de la Force 136.


« Quand j’ai voulu m’enrôler dans l’armée canadienne, on m’a refusé. À cette époque, les Canadiens d’origine chinoise n’étaient pas admis dans les forces armées. »

— Ronald Lee, cité dans l’article « Force 136: Chinese-Canadian veteran reflects on service in special forces unit »


Image en noir et blanc d'un soldat en uniforme. Il est souriant et porte des lunettes.
Ronald Lee (avec l’autorisation de la Chinese Canadian Military Museum Society)

Né le 4 mars 1919, Lee était dans la vingtaine lorsque le Japon a bombardé Pearl Harbor. Après cette journée fatidique de décembre 1941, les forces alliées ont subi de lourdes pertes en Asie du Sud-Est et ont compris qu’elles auraient besoin de recrues canadiennes d’origine chinoise.

Ces jeunes hommes, comme Lee, parlaient anglais et différents dialectes chinois. Contrairement aux autres recrues, ils pouvaient facilement se fondre dans la population locale, ce qui en faisait des candidats idéaux pour des missions de sabotage et de renseignement.

Les entraînements de la Force 136 se déroulaient aux quatre coins du monde. Lee a suivi un entraînement de base à Chilliwack, en Colombie-Britannique, puis a poursuivi son parcours en Angleterre, au Caire, à Bombay (aujourd’hui Mumbai), à Calcutta (aujourd’hui Kolkata) et à Ceylan (aujourd’hui Sri Lanka). En plus d’avoir appris les tactiques de guérilla, il a suivi une formation spécialisée pour devenir opérateur radio.

Lee a mentionné deux éléments en particulier qui lui ont été remis avant son déploiement : une pilule d’opium, pratique pour faire des échanges, et une pilule de cyanure, à prendre en cas de capture. Lee devait être parachuté en Birmanie (aujourd’hui le Myanmar) pour une mission quasi suicidaire, lorsque les États-Unis ont largué des bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki.

Au terme de la guerre, Lee est rentré au pays avec son unité. De retour au Canada, il a rejoint le mouvement sino-canadien qui militait pour obtenir le droit de vote. Ce n’est qu’en 1947 que le Canada a enfin accordé le droit de vote aux Canadiens d’origine chinoise.

Ronald Lee est décédé chez lui à Vancouver, le 6 décembre 2020, quelques mois après avoir célébré son 101e anniversaire en compagnie de ses six enfants. En 2021, je suis tombée sur un nouvel article à propos de Ronald Lee dans le Globe and Mail, qui révélait que sa famille ignorait son implication dans la Force 136. Il gardait pourtant des photos de cette époque dans son portefeuille, mais ses proches ne les ont découvertes que bien plus tard, après qu’il ait égaré son portefeuille et qu’on l’ait rendu à sa famille.

Cet article a piqué ma curiosité, car je n’avais aucun souvenir d’avoir entendu parler des contributions des Canadiens d’origine chinoise durant la Deuxième Guerre dans le cadre de mes études. Ces deux découvertes m’ont suivie alors que je quittais le monde de l’éducation pour devenir autrice de livres jeunesse. Je me suis alors donné pour mission d’apprendre tout ce que je pouvais sur la Force 136. La tâche s’est révélée ardue : la mission était confidentielle, et ses membres, comme bien des vétérans, n’en disaient presque rien à leurs familles.

Ontario members of Force 136

Bien que la majorité des membres de la Force 136 provenait de l’Ouest canadien, certains venaient de l’Ontario. La liste suivante* regroupe les membres de la Force 136 qui, à ce jour, ont été identifiés comme étant originaires de l’Ontario. Celle-ci n’est pas exhaustive, c’est-à-dire que d’autres noms pourraient s’y ajouter au fil des recherches.

Frank Chin, Lucknow

James Chin, Lucknow

Billie Hong, Brockville

Fred Hong, Windsor

George Hong, Windsor

King Lewis Chow Hing, Sault Sainte Marie

Jolly Howe, Streetsville

Henry Ing, Kingston

Ben Lee, Windsor

James Lee, Brantford

Jim Lee, Wingham

Peter Lee, Windsor

Robert Soo, Oshawa

William Soo, Oshawa

Howard Soong, Ottawa

Peter Wing, Welland

George Edward Wong, London

Hin Ming « Norman » Wong, London

Nin Nge « Henry » Wong, London

William Andrew Wong, London

*Liste dressée par le colonel (à la retraite) Chris Weicker et publiée avec son autorisation.List compiled by Col. (ret’d.) Chris Weicker. Used with permission.

Voici ce que l’on sait : la Force 136 était une division du Special Operations Executive britannique mise sur pied pendant la Deuxième Guerre mondiale dans le cadre d’un effort international. L’objectif était de former ses membres à mener des missions derrière les lignes ennemies. Malgré les risques, environ 150 Canadiens se sont portés volontaires pour participer à la mission. Ils espéraient ainsi prouver leur loyauté envers le Canada et obtenir la citoyenneté pour eux-mêmes et leurs familles.

Les hommes ont suivi un entraînement rigoureux. Quelques-uns d’entre eux ont été envoyés en mission d’essai, mais la guerre s’est terminée avant que la majorité d’entre eux ne soient déployés. Alors que certains ont participé à la libération de prisonniers, d’autres ont été laissés à l’abandon et ont dû rentrer au Canada par leurs propres moyens.

L’histoire de la Force 136 au Canada demeure largement méconnue. Même si je n’ai pas de lien de parenté avec les membres courageux de la Force 136, j’ai voulu raconter une histoire qui transmette l’émotion de découvrir leur mission pour la première fois.

Dans mon livre Endgame: The Secret Force 136, Alex apprend que son Tai Gong (arrière-grand-père) a fait partie de la Force 136 pendant une partie de xiangqi (un jeu d’échecs chinois). La révélation, en clin d’œil à l’histoire de Ronald Lee, débute par la trouvaille de précieuses photos. Tai Gong est un personnage fictif inspiré de plusieurs anciens membres de la Force 136. Le livre se termine par des notes historiques présentant certains de ces vétérans, dont trois issus de la même famille. Mon souhait, c’est que ce livre soit lu dans de nombreuses écoles, pour faire connaître l’histoire de la Force 136 et contribuer à ce qu’elle soit reconnue comme une part importante de l’histoire du Canada.

Ce blog a été rédigé en collaboration avec l’auteur et éducatrice Catherine Little pour Honouring Bravery. Pour plus d’informations sur Catherine et son livre, Endgame : the Secret Force 136, visitez le site de Plumleaf Press.

une page d'un livre intitulé « Une famille remarquable. Trois membres de la famille Louie ont servi dans la Force 136 ». La page comprend des images de chaque frère et une courte biographie.
Quelques-unes des histoires vraies de vétérans incluses dans Endgame : the Secret Force 136 (reproduites avec l’autorisation de Plumleaf Press).

Sources:

Significant events in the history of Asian communities in Canada, Gouvernement du Canada

Force 136: Chinese-Canadian veteran reflects on service in special forces unit, CBC

Force 136: Chinese Canadian Heroes [vidéo]

Fear, courage and cyanide pills: Chinese-Canadian veterans celebrated at Vancouver museum, Globe and Mail

Les Sino-Canadiens de la Force 136, l’encyclopédie canadienne

Past Presence: For genealogists and family historians

Image principale : couverture de Endgame : The Secret Force 136. Image reproduite avec l’autorisation de Plumleaf Press.