Le SS Nerissa, le navire perdu


Peu de gens ont déjà entendu parler du SS Nerissa, un navire mystérieux nommé en l’honneur d’un personnage tout aussi obscur de l’œuvre Le Marchand de Venise. Il s’agit d’un petit bateau à vapeur transportant passagers et marchandises, doté d’une coque renforcée spécialement pour naviguer dans la glace. Commandé par la Red Cross Line en 1926, ce navire doit faire la navette entre les villes de New York et St. John’s, à Terre-Neuve. Cependant, un changement de propriétaire (il passe aux mains du groupe Furness Withy), la Grande Dépression et d’autres facteurs font en sorte qu’il est transféré sur une ligne reliant les Bermudes à New York.

En avril 1940, avec l’ampleur que prend la Deuxième Guerre mondiale, le SS Nerissa, comme plusieurs autres navires des pays du Commonwealth, devient un navire de guerre, plus précisément un navire de transport auxiliaire. Il est alors remis à neuf : on l’équipe d’armes et on modifie les couchettes pour pouvoir transporter 250 hommes.

Avec le retour de la guerre sous-marine lancée par les Allemands, les Alliés remettent rapidement en place le système de convois utilisé pendant la Grande Guerre. Des destroyers et des corvettes escortent des groupes de navires marchands à travers l’Atlantique Nord. Les convois se forment dans des lieux comme le bassin de Bedford, en Nouvelle-Écosse. Ils sont divisés en groupes en fonction de la vitesse des navires. Les convois plus lents peuvent atteindre une vitesse de sept nœuds, et les plus rapides atteignent entre neuf et treize nœuds. Le SS Nerissa, lui, peut se rendre jusqu’à 17 nœuds, une vitesse supérieure à celle des bateaux les plus rapides. Son potentiel permet aux armées de croire qu’il pourra distancer la menace que représentent les sous-marins allemands, les U-Boats. Le souhait des armées se réalise : le navire réalise 39 traversées durant la guerre, ce qui lui vaut la réputation de « navire chanceux ».

Le 21 avril 1941, le SS Nerissa commence un voyage de Halifax à Londonderry impliquant 291 personnes et 3 050 tonnes de marchandises. Les passagers et l’équipage sont autant des membres de la Marine royale canadienne, des Forces armées canadiennes, de la Royal Air Force et de la marine marchande que du personnel médical et divers spécialistes. Un petit contingent de vingt civils, incluant Joseph et Elizabeth Lomas ainsi que leurs trois jeunes enfants (Terence, Joan et Margaret), fait également partie du voyage. Le navire quitte Halifax avec le convoi HX 122. Quelques heures après, il se détache du groupe et navigue seul à sa grande vitesse. Il doit passer par certaines des zones les plus dangereuses de l’Atlantique Nord.

A group of ships in a body of water near land.
Le célèbre bassin de Bedford, situé au bout du port d’Halifax, montrant clairement la transition entre les temps de guerre et de paix dans les ports de la côte Est puisqu’il s’y forme de grands convois (Archives of Nova Scotia).

De leur côté, comme leurs pères et leurs oncles pendant la Grande Guerre, les membres d’équipage des Unterseeboot ou des U-Boat parcourent l’Atlantique Nord et se livrent à la destruction des navires marchands et de leurs escortes. La Kriegsmarine (la marine allemande) vise à isoler l’Angleterre et à l’amener à la famine pour l’obliger à capituler. Cela signifie que n’importe quel navire se déplaçant dans ces eaux est considéré comme une cible « légitime ». Au début de la Deuxième Guerre mondiale, les sous-marins allemands connaissent un grand succès. De juillet à octobre 1940, les équipages allemands vivent ce qu’ils appellent « les temps heureux » : ils coulent 282 vaisseaux de marchandises des Alliés. Au début de 1941, l’Angleterre réussit à déchiffrer le code utilisé par la marine allemande et commence à rediriger ses convois pour éviter les navires ennemis. À la fin de la guerre, les armées réalisent que l’utilisation de sous-marins est une technique des plus dangereuses puisqu’à peine un quart des équipages survit.

A headshot of a man wearing a German naval uniform.
Oberleutnant zur See Erich Topp, aux commandes du U-552 (SSNerissa.com)

Le 30 avril, vers 21 h 40, l’Oberleutnant zur See (premier lieutenant de la marine allemande) Erich Topp aperçoit le SS Nerissa à partir du sous-marin U-552, aussi appelé Le diable rouge, alors remonté à la surface. Le U-552 est un U-Boat de type VIIC développé à l’automne 1940. Au début de la guerre, la plupart des attaques de sous-marins sont réalisées la nuit et à la surface. Il convient alors d’imaginer ces navires de la Deuxième Guerre mondiale comme des torpilleurs submersibles. Ils se déplacent en surface, où ils utilisent leur moteur diesel pour atteindre une vitesse de presque 18 nœuds et recharger leurs batteries. Le principal moyen de défendre ces navires consiste à les submerger et à se servir de leurs moteurs électriques alimentés par batteries pour s’échapper. Topp, un homme d’expérience, est un expert de la guerre sous-marine.

Sachant qu’il se trouve dans une zone à risque, le SS Nerissa suit le protocole établi par les Alliés et zigzague de manière aléatoire le long de son trajet prévu. Cette stratégie vise à compliquer la tâche aux ennemis en faisant des navires des cibles moins faciles à atteindre, car les torpilles de l’époque ne suivent pas leur cible. Le navire lanceur doit donc prédire où se trouvera le navire ennemi pour déterminer la trajectoire de la torpille. Avec son sous-marin, Topp s’approche tranquillement du SS Nerissa, pour se retrouver à moins d’un kilomètre du navire de transport. À ce moment, considérant les conditions de navigation et la peur d’être repéré, le premier lieutenant décide de lancer trois torpilles. Vers 23 h 30, l’une d’entre elles explose à l’arrière du navire.

Les officiers radio, aussi appelés les Macaroni Men, John PB Jeffery, Charles K. Harrison et Harold RM Davis réagissent à l’explosion en se précipitant vers leur équipement de communication pour transmettre un SOS et leur position estimée. Le dévouement de ces hommes leur coûte malheureusement la vie. Par ailleurs, leurs coordonnées ne s’avèrent pas exactes. Alors que le bateau est immobilisé et que l’équipage et les passagers s’efforcent de mettre à l’eau les canots de sauvetage, le U-552 lance une quatrième et dernière torpille, qui atteint cette fois la partie arrière à tribord. En quatre minutes, le navire se brise et coule.

Un avion du commandement côtier de la Royal Air Force arrive à l’endroit signalé par les officiers radio vers 3 h et commence à chercher des survivants. Ce n’est que vers 6 h que le bombardier Blenheim repère des canots de sauvetage. Le destroyer HMS Veteran, qui se trouve dans la zone, est rapidement envoyé pour secourir autant de personnes que possible.

Seuls 84 des passagers et membres de l’équipage sont éventuellement transférés à bord du HMS Kingcup, un autre navire appelé en renfort, et amenés à Londonderry. Au total, 207 personnes, comprenant la famille Lomas, ont perdu la vie dans cette tragédie. Le SS Nerissa est le seul navire transportant des troupes canadiennes ayant coulé durant la Deuxième Guerre mondiale.

Article rédigé par Kris Tozer pour Honouring Bravery.

A man wearing a naval uniform sitting in a chair on the deck of a boat.
Premier officier radio JP Jeffery (SSNerissa.com)

Sources (en anglais seulement)

SS NERISSA. SS Nerissa, [En ligne], 2004, [http://ssnerissa.com] (Consulté le 16 juillet 2025).

UBOAT.NET. The Type VIIC U-boat U-552, [En ligne],  [https://uboat.net/boats/u552.htm] (Consulté le 16 juillet 2025).

Image principale : SS Nerissa, 30 avril 1941(SSNerissa.com)