Quand nous pensons à la Grande Guerre, ce sont souvent les hommes armés accomplissant des actes héroïques et affrontant l’ennemi qui viennent en tête en premier. Notre mémoire oublie que d’autres personnes ont pris part à ce conflit. Le Corps royal d’intendance de l’Armée canadienne (CRIAC), le Corps forestier canadien (CFC), le Corps médical de l’Armée canadienne (CMAC) et plusieurs autres groupes ont joué un rôle essentiel en fournissant des services aux hommes sur le front pour répondre à leurs besoins physiques. Cependant, un groupe souvent oublié, dont le rôle était très différent, mérite notre attention. Ses membres agissaient à titre de clergés et assuraient le soutien spirituel et émotionnel des troupes.
Au déclenchement de la guerre, les hommes d’Église, tout comme les jeunes hommes, se dépêchent de s’enrôler et d’intégrer le Service de l’aumônerie royale canadienne. Leurs raisons sont tout aussi diverses que celles des autres hommes : devoir envers l’empire britannique, aventure, gloire ou vocation. Ce blogue présentera brièvement trois de ceux appelés les capitaines honoraires.
Cependant, il importe de préciser d’abord pourquoi ces hommes sont appelés des capitaines honoraires. En gros, ce titre permet de reconnaître leur statut dans la communauté en les traitant comme des officiers du Corps expéditionnaire canadien (CEC). Ce statut est considéré comme honorifique parce que ces hommes ne font pas partie d’une chaîne de commandement et n’ont pas de fonction de commandement. Ils sont donc traités comme des officiers, mais pas comme des combattants. Leur rôle consiste à être des conseillers pour tous les officiers et les autres gradés.
Les trois aumôniers présentés sont parmi les plus connus de la Grande Guerre. Il s’agit du chanoine Frederick George Scott, CMG (Compagnon de l’Ordre de Saint-Michel et de Saint-Georges) DSO (Ordre du service distingué), du père Benedict Joseph Murdoch et du révérend William Andrew White. Ces hommes présentent une perspective unique de la guerre et de leur participation à celle-ci. Ils ont d’ailleurs tous les trois laissé des traces écrites de leurs activités durant la guerre.
Il existe seulement deux ouvrages entiers présentant l’histoire de l’aumônerie durant la Grande Guerre : La Grande Guerre telle que je l’ai vue, écrit par Frederick George Scott, ainsi que The Red Vineyard (ouvrage non traduit), écrit par Benedict Joseph Murdoch. Murdoch aborde également ce sujet dans son autobiographie Part Way Through (ouvrage non traduit). William Andrew White n’a publié aucun livre, mais son journal et ses lettres ont été conservées.
Les histoires de ces trois hommes sont très différentes. Au moment de la guerre, Scott, un prêtre anglican urbain, est un homme d’âge mûr ayant des fils dans le CEC et un sens aigu du devoir envers l’Empire britannique. Il est reconnu pour sa bravoure et sa poésie. De son côté, le père Murdoch est un prêtre catholique rural et maritime dans la vingtaine qui s’enrôle non pas pour remplir un devoir, mais parce qu’il est profondément convaincu que sa vocation est d’offrir du soutien et de l’assistance aux hommes ainsi que d’intercéder pour eux auprès de Dieu. Le révérend baptiste White, lui, est un érudit de la communauté afro-néo-écossaise. Il intègre le 2e Bataillon de construction, la seule unité de Canadiens noirs. Il est l’un des sept Noirs ayant un poste de commandement dans le CEC. Il choisit de servir dans l’armée parce que ses hommes ont besoin de lui.



Les actions de ces hommes présentent de nombreuses similitudes. Tous se déplacent pour rencontrer leurs paroissiens sur leur lieu de travail pour discuter et partager leurs expériences. Scott et Murdoch vont même jusqu’à outrepasser des ordres de leur supérieur puisqu’ils passent beaucoup de temps à proximité des combats, souvent au péril de leur vie. En tant que bataillon de travail rattaché au Corps forestier canadien, le 2e Bataillon de construction passe la majorité de la guerre dans la région du Jura, en France, à récolter du bois pour le CEC. White y partage avec ses hommes le sentiment d’isolement, les effets de la basse politique et les conditions de vie difficiles. Les trois aumôniers écoutent les soldats, réconfortent les malades, écrivent des lettres pour que les analphabètes puissent contacter leurs proches, prêtent quelques sous pour encourager les hommes, s’inquiètent pour eux, les conseillent durant les moments de terreur et, dans certains cas, les accompagnent au moment de leur mort. Ils écoutent les anxiétés, les doutes et les horreurs que tous vivent et leur apportent un soutien moral. Tout comme les clergés pour les générations qui les ont précédés, ils agissent comme des travailleurs en santé mentale de première ligne.
Cependant, leur expérience est également unique et représentative des hommes qu’ils servent. Scott, âgé de 53 ans, est le fils d’un professeur. Il a lui-même sept enfants, et trois de ses fils s’enrôlent et servent en Europe. L’aîné, William, est un soldat du Royal Montreal Regiment. En 1915, il perd la vue d’un œil. Le troisième fils, Elton, lauréat de la bourse Rhodes, intègre l’artillerie. Il est gravement gazé au début de l’année 1918. Le destin le plus tragique est celui du deuxième fils, le capitaine Henri H. Scott. Il est tué près de la tranchée Regina durant la bataille de la Somme. De son côté, Frederick G. Scott est mentionné trois fois dans les dépêches et gravement blessé par des éclats d’obus à la fin du mois de septembre 1918 alors qu’il se trouve près de Cambra. Il est décoré de l’Ordre du service distingué (DSO) pour les soins qu’il a apportés aux blessés. À sa sortie de la guerre, il devient un fervent partisan du « pouvoir civilisateur » de l’impérialisme britannique.
Âgé de 29 ans, le père Murdoch, lui, vit toutes les horreurs de la guerre et en ressort avec une obusite (traumatisme dû à un bombardement), ce qu’on appelle aujourd’hui un trouble de stress post-traumatique (TPST). Il ne se remet jamais réellement de son expérience et passe le reste de sa vie en réclusion à Bortibog, au Nouveau-Brunswick, à écrire. Il est l’auteur de neuf ouvrages. Il laisse derrière lui des traces écrites de son expérience au service des hommes au front, mais également de son combat avec le TPST.
À la fin de la guerre, le révérend White retrouve quant à lui son foyer et sa famille. Il exerce son ministère auprès de la congrégation de l’église baptiste de la rue Cornwallis, diffuse son service à la radio et devient un homme bien dans toutes les Maritimes. En 1936, il devient le premier Canadien noir à recevoir un doctorat honorifique de son alma mater, l’Université Acadia.
Article rédigé par Kris Tozer pour Honouring Bravery.
Écrits des capitaines honoraires
Murdoch, Benedict J. (1959). The Red Vineyard. Glascow. Robert MacLehose and Company LTD, University Press. 10e édition.
Scott, Frederick George. (2023) La Grande Guerre telle que je l’ai vue (traduction de The Great War as I Saw it). Writat.
White, William A. White’s Diaries. Toronto Metropolitan University Library. [en ligne]. https://wardiaries.ca/s/operationcanada/page/william-andrew-white. Consulté le 24 mars 2025.