Jacob Courtney
Jacob Courtney est né en 1876 à Owen Sound, en Ontario, de Carrie Parker et d’Abraham Courtney, un fervent de liberté qui a fui l’esclavage grâce au chemin de fer clandestin. Carrie et Abraham sont malheureusement tous deux décédés dans les années 1890, obligeant Ethel, l’aînée de Jacob, à prendre soin de ses frères et sœurs plus jeunes. Lorsque la guerre a éclaté, Jacob vivait à New Lowell, en Ontario, avec son fils John. Rachel, la femme de Jacob, est décédée peu de temps après l’accouchement en 1908, le laissant seul pour s’occuper de leur fils. Pour subvenir aux besoins de John, Jacob travaillait comme décorateur d’intérieur. Le 1er décembre 1915, il s’est joint aux Simcoe Foresters, mais ce n’est qu’en date du 1er février 1916 que le commandant divisionnaire a accepté de signer ses documents. Avant de partir à l’étranger, Jacob a confié son fils à Esther et à son mari John Carter, qui habitaient à Guelph. On peut seulement imaginer combien cela a dû être difficile pour Jacob de laisser son enfant à un si jeune âge, mais il a manifestement ressenti le devoir de contribuer à l’effort de guerre.
Le 28 octobre 1916, après un voyage en mer à bord du SS Cameronia, Jacob est arrivé en Angleterre en compagnie d’autres membres du 157e bataillon. En 1918, il a rejoint le 4e bataillon canadien et a pris part à la bataille du canal du Nord durant l’offensive des Cent-Jours. Il a survécu à la guerre et s’est vu décerner un insigne de bonne conduite pour son service militaire.
Jacob n’était toutefois pas le seul membre de la famille Courtney à vouloir appuyer l’effort de guerre. Son frère Henry, né en 1883, travaillait comme camionneur à Owen Sound et souhaitait s’engager dans l’armée comme son frère aîné l’avait fait auparavant. Henry a tenté de s’enrôler à plusieurs reprises, mais contrairement à Jacob, il n’a pas réussi à trouver un bataillon prêt à l’accueillir. Cette situation a toutefois changé à la suite de la création du 2e Bataillon de construction.
Un peloton composé exclusivement d’hommes noirs
Indignés par le racisme des agents de recrutement et par leur refus d’enrôler les personnes de couleur, les Canadiens noirs à travers le pays ont appelé le gouvernement à former des bataillons ou des pelotons entièrement composés d’hommes noirs. À Toronto, l’éditeur local J.R.B. Whitney a commencé à rassembler des citoyens dans l’espoir que le gouvernement canadien lui permette de créer une telle unité. Le 24 novembre 1915, il a fait appel à Sir Sam Hughes, le ministre de la Milice, pour lui demander l’autorisation de former un peloton de 150 hommes provenant de Toronto, London, St Catherines, Chatham et Windsor. En réponse, Hughes a déclaré : « Je tiens à vous informer que ces hommes sont désormais autorisés à former un peloton dans n’importe quel bataillon. Rien au monde ne pourra les en empêcher. » Heureux d’apprendre la nouvelle, Whitney a lancé le processus de recrutement par le biais de son quotidien The Canadian Observer.
Plusieurs hommes intéressés, dont Henry Courtney, ont contacté les bureaux du journal pour se porter volontaires. Enthousiaste à l’idée de pouvoir enfin s’enrôler, Henry a écrit une lettre à Whitney dans laquelle il disait : « Si vous pouviez prendre le temps de m’écrire quelques lignes pour me dire si je peux m’engager, je vous en serais profondément reconnaissant »
Au mois d’avril, Whitney avait déjà recruté près de 40 hommes pour intégrer son peloton. Ce qu’il ignorait cependant, c’est que l’enrôlement individuel était toujours à la discrétion des commandants divisionnaires. Par conséquent, ce peloton ségrégué ne pourrait être constitué qu’avec l’autorisation de l’un d’entre eux. Peu de temps après, Whitney a reçu une lettre indiquant qu’il devait cesser le recrutement, car aucun commandant divisionnaire n’était disposé à accepter un peloton constitué d’hommes de couleur dans son bataillon. Bien qu’aucune explication ne lui ait été fournie, des notes internes de l’armée confirment que cette décision était motivée par le racisme des responsables militaires. Un document daté du 13 avril 1916 affirmait même que les hommes noirs feraient de mauvais soldats et que les soldats blancs ne voudraient pas s’associer à eux ni les soutenir au combat. Indigné par cette nouvelle, Whitney a redoublé d’efforts pour convaincre le gouvernement de revenir sur sa position. Il a envoyé à Hughes des articles du journal The Canadian Observer pour démontrer l’intérêt de la communauté noire pour le peloton, ainsi que le patriotisme des Canadiens noirs. L’un de ces articles comprenait un passage de la lettre qu’Henry Courtney avait écrite à Whitney, dans laquelle il exprimait son désir d’appuyer l’effort de guerre. Il mentionnait être « robuste et en bonne santé », ajoutant : « Je n’ai jamais été malade, je travaille dans le bois ». Hélas, le gouvernement a une fois de plus refusé d’intégrer le peloton.
Henry Courtney et le 2e Bataillon de construction
Bien que les efforts de Whitney n’aient pas donné les résultats escomptés, ses pressions constantes et celles d’autres individus à travers le Canada ont incité les forces armées à envisager d’accueillir les soldats noirs dans l’Armée canadienne. Il est important de noter qu’en 1916, le recrutement de volontaires avait considérablement diminué et que l’armée avait besoin de soldats. Les autorités militaires ont donc pris la décision de former un bataillon entièrement composé de travailleurs noirs et ont autorisé la création du 2e Bataillon de construction le 5 juillet 1916. Ce dernier était établi en Nouvelle-Écosse, et même si la majorité de ses membres résidaient dans cette province, le bataillon a réussi à recruter des hommes dans tout le Canada. Henry a aussitôt saisi l’occasion et s’est enrôlé dans le bataillon le 30 août 1916.
Un entraînement militaire devait être offert à Henry ainsi qu’au reste des membres du bataillon à leur arrivée en Angleterre, en avril 1917. Cependant, le journal militaire du bataillon mentionne que cet entraînement a été « relégué au second plan par rapport au travail agricole, principalement à la plantation de pommes de terre ». En janvier 1917, Henry a été nommé caporal temporaire et devait être promu officiellement au grade de caporal à son arrivée. Malheureusement, les autorités sont revenues sur leur décision et Henry est parti en France en tant que soldat, probablement en raison d’une réorganisation du bataillon par le ministère de la Guerre. Puisque le bataillon ne comptait que 614 officiers et autres hommes, soit un nombre inférieur à la taille requise de 1049 membres, le ministère de la Guerre l’a rétrogradé en une compagnie de main-d’œuvre. Henry a été envoyé en France avec les travailleurs de la compagnie pour soutenir le Corps forestier canadien dans ses projets de construction. Pendant la majeure partie de la guerre, ils se sont consacrés à la construction d’infrastructures liées à l’exploitation forestière.
Après la guerre
Henry et Jacob Courtney ont survécu à la guerre et sont retournés au Canada au printemps 1919. Après la guerre, Jacob a repris son métier de décorateur d’intérieur à New Lowell et à Collingwood. Il est retourné à Owen Sound en 1937 et a fondé une grande famille avec sa femme Irma. Jacob est décédé à l’âge de 81 ans, en 1957. Henry a perdu la vie dix ans plus tôt, en 1947. À l’annonce de son décès, la ville d’Owen Sound a mis son drapeau en berne à l’hôtel de ville. Jacob et Henry ont inspiré de nombreux membres de la famille Courtney à s’enrôler dans les forces armées, y compris les fils de Jacob – William, Donald et Louis – qui ont servi pendant la Deuxième Guerre mondiale.
Les récits des frères Courtney ne sont que deux exemples de toute la force et la persévérance dont on fait preuve les Canadiens noirs au cours de la Première Guerre mondiale. En plus de combattre sur le front, les soldats noirs ont dû lutter contre le système discriminatoire d’enrôlement dans leur pays. En 2022, le gouvernement canadien a présenté des excuses officielles pour son rôle dans la discrimination envers les soldats noirs durant la Première Guerre mondiale.
Article rédigé à l’origine par Anthony Badame pour Je Me Souviens. Traduction par Melissa Santos.
Sources :
Pour en savoir plus sur les frères Courtney :
- « Black Guelph Volunteers in the Great War », Part of the online exhibit The Black Past in Guelph: Remembered and Reclaimed (en anglais).
- « Henry Courtney Personnel File », Library and Archives Canada/Bibliothèque et Archives Canada (en anglais).
- « Jacob Courtney Personnel File », Library and Archives Canada/Bibliothèque et Archives Canada (en anglais).
Pour en savoir plus sur les Canadiens noirs pendant la Première Guerre mondiale :
- « Les Forces armées canadiennes rendent hommage au 2e Bataillon de construction », Government of Canada/Gouvernement du Canada (en anglais).
- « Enlistment of Coloured Men in the Canadian Militia », Library and Archives Canada/Bibliothèque et Archives Canada (en anglais).
- « War diaries – 2nd Canadian Construction Company », Library and Archives Canada/Bibliothèque et Archives Canada (en anglais).
- Sean Flynn Foyn, The Underside of Glory: African Canadian Enlistment in the Canadian Expeditionary Force, 1914-1917, University of Ottawa (Master’s thesis), 2000, 154 p. (en anglais).