L’histoire de John G. W. Gibson, une tragédie dans le triomphe

a portrait photograph of a man in military uniform

Le 9 avril 1917 commence une bataille qui s’inscrit dans l’histoire du Canada. Ce jour-là, les quatre divisions du Corps expéditionnaire canadien (CEF) lancent leur assaut sur la très fortifiée crête de Vimy. Toutes les unités se préparent à cette bataille depuis des mois. L’artillerie est visée, et un plan de barrage détaillé est établi. Les Byng’s Boys, nommés d’après l’officier britannique d’expérience, commandant du CEF et lieutenant-général Julien Byng, sont spécialement préparés pour chacun des objectifs à atteindre. Byng est très méticuleux dans sa planification. Sa victoire au terme des quatre jours de la bataille de la crête de Vimy lui permet d’obtenir le titre de premier vicomte de Vimy et, plus tard, celui de gouverneur général du Canada.

Comme dans le cas du récit de plusieurs batailles, il existe une tendance à se laisser absorber par une vision globale de l’événement, à se concentrer sur quel bataillon a attaqué qui, où et quand. Cette vision fait en sorte que l’homme ordinaire est exclu de l’équation, que ceux qui ont été blessés et ont souffert sont oubliés. Il importe de se rappeler que les hommes ordinaires font partie de ce moment historique.

John Gordon Wardlow Gibson sert le 46e Bataillon (celui du sud de la Saskatchewan) durant la bataille de la crête de Vimy. Ce bataillon fait partie de la 10e Brigade d’infanterie de la 4e Division. Il participe aux batailles de la Somme et d’Ancre et obtient le surnom de « bataillon suicide ». Nécessairement, un combat entraîne des victimes. Des hommes sont blessés, portés disparus ou tués, mais les unités doivent conserver leur capacité de combat. Des unités nouvellement formées et entraînées provenant du Canada sont utilisées pour remplacer les soldats manquants. Le 196e Bataillon (celui de l’Université Western) est une de ces unités. Il entre en scène en janvier 1917. Il a la particularité d’être composé d’hommes recrutés parmi les étudiants d’universités du Manitoba, de la Colombie-Britannique, de l’Alberta et de la Saskatchewan, donc de soldats aux qualifications exceptionnellement élevées. Plus de 200 des 1 000 étudiants inscrits sur la liste nominative sont recommandés pour être commissionnés. Dans le cadre de la redistribution des effectifs, le 17 février 1917, le soldat Gibson (matricule 911966) est affecté au 46e Bataillon.

Le 196e Bataillon commence à recruter à l’hiver 1915. À cette époque, Gordon (il était ainsi appelé) a terminé ses études secondaires. Il travaille comme commis à la quincaillerie Wood-Vallance et vit en Colombie-Britannique avec sa mère veuve. Son père, l’éminent dentiste Dr Thomas G. Gibson, est décédé de la tuberculose en 1908. Gordon a une sœur aînée et un frère cadet. Il est à la fois artiste et athlète, et très apprécié de tous. Il a une amoureuse du nom de Dell Matthews. Les lettres qu’il envoie à la maison durant son service montrent son niveau d’éducation et de littératie.

Un document d'attestation rempli. Sous le nom de famille, les mots « John Gordon Wardlaw » sont écrits, rayés et remplacés par le mot « Gibson ». L'inverse est vrai pour la ligne qui demande quels sont vos prénoms.
Attestation tirée du dossier personnel de Gordon (Bibliothèque et Archives Canada).
un portrait photographique d'un homme en uniforme militaire
John GW « Gordon » Gibson.

Ces lettres, tout comme son dossier militaire, donnent un aperçu de la personne qu’est Gordon. Son formulaire d’engagement témoigne de l’excitation nerveuse qu’il ressent à l’idée de se lancer dans une grande aventure. En effet, Gordon commet une erreur courante : il mélange l’ordre de ses noms et est obligé de les barrer pour les remettre dans le bon ordre, soit le nom de famille d’abord, puis le prénom.

Le premier assaut de la crête de Vimy commence le 9 avril 1917, mais la 10e Brigade, et donc le bataillon de Gordon, n’est pas impliquée dans celui-ci. Elle doit plutôt attaquer, le lendemain, la butte ardemment défendue connue sous le nom de Pimple.

Durant l’avancée, on rapporte que Gordon est tué au combat. Or, il s’est simplement déplacé et a disparu. Son corps n’est jamais retrouvé. Comme il intègre le 46e Bataillon le 17 février 1917 et est déclaré mort le 10 avril 1917, il passe donc moins de 60 jours au front. Son nom, tout comme celui de 11 284 de ses compagnons, se retrouve sur le monument commémoratif de la crête de Vimy. Au total, plus de 20 000 des 66 000 Canadiens tués durant la Première Guerre mondiale n’ont pas de tombe connue.

Malheureusement, ce décès n’est pas la fin de la tragédie familiale des Gibson. Le 26 octobre 1918, la sœur de Gordon, Irene, décède de la grippe espagnole et, en 1919, Dell, l’amoureuse du soldat, meurt également de la maladie. La Grande Guerre fait 66 000 victimes canadiennes, et la pandémie de la grippe espagnole de 1918 en fait environ 50 000. Il s’agit surtout de jeunes dans la fleur de l’âge. Ainsi, en 1914, Alison Gibson, née Cant, est une veuve avec deux fils et une fille et, en 1919, il ne lui reste que son plus jeune fils. Elle décède elle-même en 1934, et sa pierre tombale porte une inscription dédiée aux deux enfants qu’elle a perdus. Thomas Gisbon, le seul survivant, poursuit sa vie et élève sa famille. Le souvenir de Gordon continue de vivre à travers celle-ci.

Une pierre tombale portant l'inscription en anglais « À la mémoire du soldat J. Gordon Wardlaw Gibson. Mort au combat à la crête de Vimy le 10 avril 1917, à l'âge de 21 ans. Margaret Irene Gibson 1892-1918. »
Un mémorial dédié à Gordon.
une photo d'un homme assis à côté d'une femme. Ils sourient tous les deux.
Gordon avec Dell Matthews.
Une lettre manuscrite qui dit en anglais : « Quelque part en France, le 18 février 1917. Cher Tom, Nous sommes maintenant dans la vieille France, dans un endroit où la boue ne manque pas et qui colle plus que ton meilleur ami. Il nous a fallu deux nuits et une journée pour arriver ici, après une marche de près de 12 ou 14 miles depuis la tête de ligne jusqu'à l'endroit où nous nous trouvons actuellement, à portée de voix des canons. »
Une lettre de Gordon
Une partie d'un mur de pierre. Il y a un texte gravé dessus, comprenant les mots « J G W Gibson ».
Le nom de Gibson sur le mémorial de Vimy (Mémorial virtuel de guerre du Canada).

Nous aimerions tous que cette tragédie familiale soit un cas isolé, mais les années de guerre ont eu de lourdes conséquences sur les Canadiens. Il faut se rappeler les gens comme Gordon, Dell et Irene non pas parce que leurs actes sont remarquables en soi, mais parce que leur histoire est une représentation de la nôtre.

Il est trop facile d’oublier les tragédies personnelles qui accompagnent les grandes victoires. Notre histoire raconte que le Canada s’est forgé ce jour-là, le 10 avril 1917, sur la crête de Vimy. Ce qu’elle n’aborde cependant pas, c’est le coût humain de ce moment historique.

Article rédigé par Kris Tozer pour Honouring Bravery.


Notes:

Les images et principales informations sur le soldat Gibson ont été gracieusement fournies par les membres de sa famille encore en vie.

Son dossier militaire est accessible en ligne. Voici la source : Bibliothèque et Archives Canada. (2025, 5 mai). Dossiers du personnel de la Première Guerre mondiale. [En ligne] [https://www.canada.ca/fr/bibliotheque-archives/collection/aide-recherche/histoire-militaire/premiere-guerre-mondiale/pgm-personnel.html] (consulté le 27 mai 2025).