On dit souvent que la crise de Suez a contribué à forger l’identité du Canada en tant que gardien de la paix sur la scène internationale. Saviez-vous qu’elle a également joué un rôle dans la création du drapeau canadien? Voyons comment ce conflit a marqué l’histoire de ce symbole si représentatif du Canada.
La crise de Suez en bref
Pour bien comprendre la crise de Suez, il faut d’abord se pencher sur le canal de Suez. Situé en Égypte, le canal de Suez a été construit en 1869 pour offrir aux navires une voie directe entre la Méditerranée et la mer Rouge. Ce dernier était administré par la Compagnie du canal de Suez, dirigée conjointement par la Grande-Bretagne et la France. En 1956, le président égyptien Gamal Abdel Nasser a saisi la Compagnie et l’a nationalisée pour financer la construction du barrage d’Assouan, après que les États-Unis et la Grande-Bretagne soient revenus sur leur promesse d’aider à financer le projet. En dépit des compensations accordées par le gouvernement égyptien aux actionnaires de la Compagnie du canal de Suez, la Grande-Bretagne et la France redoutaient de plus en plus que Nasser ferme le canal aux livraisons de pétrole destinées à l’Europe occidentale. Il est aussi important de souligner que ces événements se sont déroulés pendant la guerre froide, et que les liens entre l’Égypte et l’Union soviétique accentuaient les tensions à l’échelle mondiale. En octobre 1956, la Grande-Bretagne, la France et leur allié régional, Israël, attaquèrent la zone du canal.
Lester B. Pearson, qui dirigeait la délégation canadienne aux Nations Unies, proposa la création de la « force policière de maintien de la paix » de l’ONU dans le but de réduire les tensions dans la région. Le projet a été approuvé à l’unanimité le 4 novembre, et deux jours plus tard, un cessez-le-feu a été déclaré. Peu de temps après, la Force d’urgence des Nations Unies (FUNU) est arrivée en Égypte, sous le commandement du général canadien Eedson Burns. La FUNU a supervisé le retrait des troupes britanniques, françaises et israéliennes, et a ensuite contribué au maintien de la paix le long de la frontière israélo-égyptienne. Pearson recevra par la suite le Prix Nobel de la paix pour son rôle clé lors de la crise de Suez.


Le Red Ensign
Les membres de la FUNU portaient les uniformes militaires de leurs pays respectifs, mais pour les Canadiens, cela posait un problème. À l’époque, le Canada arborait le Red Ensign, un drapeau très similaire à celui de l’Union britannique (l’Union Jack). Les uniformes canadiens ressemblaient aussi beaucoup à ceux des Britanniques, sans compter qu’ils affichaient aussi le drapeau. Certains des régiments canadiens qui étaient censés participer à la mission en Égypte, notamment le Queen’s Own Rifles, portaient même des noms que l’on associerait spontanément à la Grande-Bretagne. Croyant que la population risquait de confondre les soldats canadiens avec des soldats britanniques, les autorités égyptiennes se sont opposées à leur intervention dans le pays. En guise de compromis, le Canada a choisi de ne pas envoyer le régiment des Queen’s Own Rifles, mais plutôt d’envoyer des militaires affectés à des missions de reconnaissance, d’administration et de soutien.

Le casque bleu
Afin de se différencier des soldats britanniques, les Canadiens servant dans la FUNU ont peint leurs casques en bleu pour faire écho au drapeau de l’ONU. On leur a ensuite remis des casquettes militaires qui avaient elles aussi été teintes en bleu, ce qui a conduit, un peu plus tard, à la création du béret bleu des Nations Unies. Depuis, le béret bleu est devenu un symbole universel du maintien de la paix et est désormais étroitement associé à l’identité du Canada en tant que pays de maintien de la paix.
Image montrant des Canadiens portant le béret bleu de l’ONU durant les missions de maintien de la paix au Congo. Comme l’image date d’avant 1965, l’avion militaire arborait encore le Red Ensign sur sa queue (Canada. Ministère de la Défense nationale, Bibliothèque et Archives Canada, ecopy).

Le problème du drapeau
Pour Pearson, les débats autour du Red Ensign pendant la mission de la FUNU montraient que le Canada avait besoin d’une identité propre, distincte de celle de la Grande-Bretagne. En 1960, alors chef de l’opposition officielle, Pearson a commencé à exercer des pressions sur le gouvernement pour qu’il résolve « le problème du drapeau », et en a même fait une promesse électorale. Trois ans plus tard, une fois devenu premier ministre, il enclencha le processus de modification du drapeau.
« Le Red Ensign a servi le Canada honorablement et efficacement depuis sa désignation par décret. Cependant, ceux qui souhaitent que le Parlement l’adopte de manière officielle et permanente doivent certainement savoir, sans vouloir manquer de respect au Red Ensign, qu’il s’agit avant tout du drapeau de la marine marchande britannique et qu’il est très similaire, à l’exception des armoiries, aux drapeaux des colonies britanniques. »
–Discours de Lester Pearson à la Chambre des communes, le 15 juin 1964
Or, la conception d’un symbole aussi important que le drapeau national allait inévitablement susciter des désaccords. Beaucoup, dont John Diefenbaker (ancien premier ministre et chef de l’opposition officielle à l’époque), estimaient que le drapeau devrait rendre hommage à l’histoire franco-britannique du pays en incorporant l’Union Jack et la fleur de lys. D’autres défendaient l’idée d’un drapeau purement canadien. De son côté, Pearson était d’avis qu’il faudrait y inclure trois feuilles d’érable. Une autre proposition prometteuse était celle de George Stanley, doyen de la faculté des arts au Collège militaire royal du Canada. Inspiré par le drapeau du Collège militaire royal du Canada, son concept mettait en avant une feuille d’érable rouge bordée de deux bandes rouges. Finalement, après d’intenses débats, le drapeau de Stanley a été adopté et hissé officiellement le 15 février 1965.
Au bout du compte, Pearson a obtenu ce qu’il souhaitait : un drapeau résolument canadien, symbole de l’indépendance du Canada sur la scène internationale.
Article rédigé par Anthony Badame pour Honouring Bravery. Traduction par Mélissa Santos.
Sources
Diefenbaker on a new flag, 1964
Help Not Wanted in Egypt [vidéo CBC]
Drapeau national du Canada, L’Encyclopédie canadienne
Pearson’s solution to the Suez crisis [archives radio de CBC]