Rares sont ceux qui ont le privilège d’être reconnus comme des légendes au cours de leur vie. Stewart East était l’un de ces individus remarquables.
Devenir aumônier
Stewart Bland East est né à Winnipeg, au Manitoba, le 29 avril 1908. Dans sa jeunesse, ses camarades le décrivaient comme un jeune homme très souriant. En 1935, il a été ordonné prêtre, puis est devenu prédicateur itinérant, communément appelé « circuit rider » (formateur itinérant), en Saskatchewan. Stewart épousa Mary Richardson en 1938, et le couple s’installa à Jarvis, en Ontario.
A military padre
Puis, en juillet 1940, il décida de rejoindre le Service de l’aumônerie royale canadienne. Du haut de ses 6 pi 6 po, Stewart était sans doute l’un des plus grands aumôniers en service actif. D’abord affecté au Royal Hamilton Light Infantry, il a par la suite été transféré au Princess Patricia’s Canadian Light Infantry. Le 28 octobre 1942, il a été transféré une fois de plus. Cette fois, il a rejoint les 48th Highlanders, régiment au sein duquel il a traversé la majeure partie de la campagne d’Italie.
En temps de guerre, le rôle des aumôniers militaires consistait à offrir « un soutien spirituel et moral » aux soldats. Stewart, en revanche, ne s’est jamais contenté de remplir ses fonctions. Il faisait preuve d’un dévouement sans bornes envers « ses » soldats, quelles que soient leurs croyances religieuses. D’ailleurs, pour les membres des 48th Highlanders, Stewart East était bien plus qu’un aumônier : c’était un ami.
En tant qu’aumônier militaire, Stewart devait notamment:
- Promouvoir le bien-être religieux, spirituel et moral des troupes;
- Maintenir un « ministère de présence » auprès des militaires déployés ou au pays;
- Participer aux activités de la communauté religieuse;
- Officier lors d’événements spéciaux;
- Conseiller le commandant divisionnaire sur le bien-être spirituel, éthique et moral de son unité.
Opération Husky
Le 10 juillet 1943, le régiment des 48th Highlanders a débarqué en Sicile dans le cadre de l’« opération Husky », nom de code attribué à l’assaut allié contre la Sicile. L’été sicilien battait son plein à ce moment-là, et le 12 juillet, la chaleur était devenue insoutenable. Le sol était sec et poussiéreux, et les hommes s’effondraient, épuisés par toute cette chaleur. Ils avaient désespérément besoin d’eau. Voyant là une occasion d’aider, Stewart a demandé six bouteilles d’eau à l’officier responsable des provisions et a accompagné les troupes pour veiller à ce qu’elles restent hydratées. Tout au long de la campagne d’Italie, il continua d’assurer un approvisionnement supplémentaire en eau.
Contrairement à la plupart des aumôniers, qui eux restaient dans les quartiers généraux à l’arrière, Stewart insista pour s’installer avec le médecin militaire dans le poste de secours régimentaire situé sur les lignes de front, à proximité des soldats. Au fil du temps, il est devenu très habile à prodiguer des premiers soins, et a même commencé à assister l’équipe médicale dans certaines tâches. Plusieurs membres des 48th Highlanders croyaient que ces responsabilités faisaient partie des fonctions d’un aumônier, mais en réalité, Stewart allait bien au-delà de ce qui était attendu de lui.


Ortona
Aux alentours de Noël de 1943, le régiment des 48th Highlanders était déjà rendu près de la ville d’Ortona, dans les Abruzzes, au centre de l’Italie. Il avait pour mission de s’emparer des collines entre Saint Thomas et Ortona pour empêcher les troupes allemandes de fuir la ville. Lors d’une opération téméraire surnommée plus tard « The Daring Gamble », les membres des 48th Highlanders se sont infiltrés discrètement en territoire allemand pendant la nuit, en empruntant un sentier étroit les uns derrière les autres. Contre toute attente, tous les membres du bataillon ont atteint leur cible, située à plus d’un kilomètre dans les lignes allemandes. Toutefois, ils étaient maintenant entourés par les troupes allemandes. Le jour de Noël, les troupes commençaient à manquer de provisions, il leur fallait des brancardiers, et les batteries de leurs appareils sans fil étaient presque à plat. Pour remédier à la situation, le capitaine George Beal était chargé de conduire une unité de renforts de la Saskatchewan Light Infantry jusqu’au bataillon, le long dudit sentier. Stewart, positionné à l’arrière des troupes, devait veiller à ce que tous les hommes arrivent sains et saufs. Alors qu’ils progressaient sur le sentier, le groupe a fini par se disperser. Malgré l’obscurité, Stewart a réussi à rassembler les 60 hommes égarés et à les guider jusqu’au bataillon.
À peine arrivé, il s’est empressé de vérifier l’état de santé des soldats des 48th Highlanders, leur apportant du réconfort et des mots d’espoir. Grâce à ces provisions supplémentaires et aux renforts de char d’assaut qui s’en sont suivis, les 48th Highlanders ont pu continuer à se battre jusqu’au repli des troupes allemandes. Stewart a enterré les soldats tombés au combat (des deux côtés du conflit) sur les collines où ils s’étaient battus, et a appelé cette zone « Cemetery Hill » (colline du cimetière). Ce nom est resté, si bien que la bataille a ensuite été surnommée la « bataille de Cemetery Hill ».
Le 31 décembre, les 48th Highlanders ont pris possession de la ville de Saint Thomas. Sachant que le médecin militaire était occupé à soigner les blessés, Stewart a décidé de créer un poste de secours avancé dans la ville. Souvent, c’est même lui qui aidait les brancardiers à récupérer les soldats blessés.
« Quelle ne fut pas ma surprise quand j’ai découvert que le grand officier des 48th Highlanders était un aumônier. Je n’en croyais pas mes oreilles! », s’est exclamé le caporal de la Saskatchewan Light Infantry. « Il changea d’attitude et commença à nous crier après comme un sergent-major. »
– Dileas: A History of the 48th Highlanders (ouvrage en anglais)
S’occuper des soldats tombés au combat

L’une des missions les plus pénibles de Stewart durant la guerre était de récupérer les corps de soldats tués sur le champ de bataille et de les enterrer. Il n’était pas rare qu’en plein milieu de la nuit, à l’abri de regards, il emmène de petits groupes de brancardiers pour récupérer les corps des défunts. Même s’il s’agissait d’une tâche dangereuse, il estimait qu’il était de son devoir de garantir que les soldats décédés aient droit à un enterrement digne. D’ailleurs, il n’hésitait pas à creuser lui-même leurs tombes. Stewart tenait profondément à ces hommes, même après leur mort. Au terme de la campagne d’Italie, Stewart s’était assuré que tous les membres des 48th Highlanders avaient été retrouvés et comptabilisés, y compris ceux qui avaient été enterrés par d’autres aumôniers. Il a même écrit des lettres aux familles des défunts. Ce sens du devoir ne se limitait toutefois pas aux membres de son régiment. Le 4 mars 1944, les 48th Highlanders ont pris le relais du Royal Canadian Regiment après que ce dernier ait été impliqué dans une violente attaque. Cette nuit-là, Stewart a mis sur pied des équipes chargées de récupérer le plus grand nombre possible de soldats tués au combat. À l’aube, 11 soldats avaient été ramenés.
En mai 1944, Stewart et les autres membres des 48th Highlanders avançaient dans la vallée du Liri. Un jour, lors d’une patrouille, un brancardier et lui se sont accidentellement retrouvés en territoire ennemi. C’est alors qu’ils sont tombés sur le corps d’un soldat du Royal Canadian Regiment. Sachant que le corps aurait été déplacé s’il n’avait pas été derrière les lignes ennemies, Stewart et le brancardier ont décidé de ramener le soldat pour l’enterrer avec dignité.
La ligne Hitler et au-delà
Les 48th Highlanders ont poursuivi leur chemin dans la vallée du Liri, en direction de la ligne Hitler, une ligne de défense allemande lourdement armée, conçue pour empêcher les Alliés d’avancer vers le Nord en direction Rome. Le 22 mai, les 48th Highlanders ont lancé une attaque contre la ligne Hitler. En plein cœur de la bataille, Stewart commença à improviser un poste de rassemblement des blessés sous une pluie de mortiers et d’obus allemands. C’est alors qu’il a été frappé au bras, mais la blessure ne l’a pas empêché de continuer à aider les troupes. Peu de temps après, il a été atteint à nouveau, cette fois à la jambe. Il s’empressa de soigner sa blessure avec un garrot. Stewart savait qu’il était temps pour lui de quitter le combat. Malgré tout, à l’aide d’un bâton qu’il trouva par terre pour l’aider à marcher, il prit la peine de visiter chaque poste de la compagnie pour rassurer les soldats et leur offrir des mots d’encouragement. Une fois remis de ses blessures, Stewart a pu retourner sur le front auprès des 48th Highlanders.
À mesure que la guerre se prolongeait, les effets de celle-ci pesaient de plus en plus sur Stewart. « Je tenais le coup, tant que je n’avais pas à en enterrer plus de trois », explique [Stewart]. « Mais quand il fallait en chercher d’autres, les fouiller pour récupérer leurs effets personnels, puis les enterrer, ça me mettait en colère. » Stewart s’est dévoué corps et âme à son travail, parfois même au détriment de sa propre santé. Par exemple, on raconte qu’il est déjà resté debout pendant 72 heures d’affilée pour venir en aide aux troupes. En janvier 1945, Stewart tomba malade et fut rapatrié en Angleterre.
Les exploits de Stewart pendant la guerre ne sont pas passés sous silence. Pour sa bravoure sur la ligne Hitler, Stewart s’est vu décerner la Croix militaire. Il a ensuite été nommé Membre de l’Ordre de l’Empire britannique (MBE) pour son dévouement tout au long de la campagne d’Italie. Ces deux distinctions lui ont été remises par le roi en personne lors d’une cérémonie au palais de Buckingham, le 18 mai 1945. Les membres des 48th Highlanders n’ont jamais oublié la bravoure et la compassion dont Stewart a fait preuve. Encore aujourd’hui, ils célèbrent fièrement l’aide et le soutien qu’il leur a apportés durant la guerre.
L’après-guerre
De retour à la maison, Stewart a repris son poste de pasteur. En 1947, alors qu’il travaillait comme pasteur à l’Église unie d’Islington, à Etobicoke, il a aidé à planifier la construction de la nouvelle église. Il a servi l’église jusqu’à sa retraite, en 1973.



Stewart a continué à jouer un rôle actif au sein de la communauté jusque dans les dernières années de sa vie. Après avoir quitté l’église, il a été élu conseiller municipal dans le quartier 2 d’Etobicoke et a occupé ce poste jusqu’en 1980. Cette année-là, il a également dirigé la campagne visant à empêcher la démolition de l’Applewood Shaver House, maison natale du politicien J. S. Woodsworth. Pendant plusieurs années, il a aussi été l’aumônier du Conseil du défilé du Jour des guerriers (Warriors’ Day Parade). Pour ses contributions à la communauté, Stewart a reçu le prix commémoratif Jean Hibbert décerné par la Société historique d’Etobicoke en 1982, et a été intronisé au temple de la renommée d’Etobicoke en 1988. Stewart est décédé en 1995 à l’âge de 87 ans, laissant derrière lui un riche héritage de service communautaire et de don de soi.
Article rédigé par Anthony Badame pour Honouring Bravery. Traduction par Mélissa Santos.
Sources
Aitchison, Don, « Padre Stewart East Legindary 48th Regimental Chaplain in WWII » The Falcon Yearbook 2015:38-40.
Beattie, Kim. Dileas: A History of the 48th Highlanders.
Cormack, R.L. « The Rev. (Padre) Dr. S.B. East » The Falcon 24(1): 3-4.
Mural Map, Village of Islington.
Rev H/Major Stewart Bland East, MBE, MC , 48th Highlanders of Canada Museum.