Au cours de l’histoire, beaucoup de jeunes hommes et femmes répondent aux appels à l’implication de leur pays. Dans un grand nombre de conflits, autant passés qu’actuels, de très jeunes enfants servent de fantassins. Au Canada, durant les deux guerres mondiales, les règles concernant l’enrôlement sont pourtant claires : il faut être un homme d’au moins 18 ans et répondre à certains critères touchant la taille, le poids et l’état de santé. Or, à cette même période, il n’est pas rare que des adolescents de 16 ans quittent leur foyer pour travailler à temps plein pour des industries situées loin de chez eux. Par exemple, dans les années 1930, de nombreux jeunes hommes du Nouveau-Brunswick partent travailler dans des camps forestiers du nord de l’Ontario. C’est aussi une époque où beaucoup de gens n’ont pas de documents gouvernementaux prouvant leur date de naissance. Le cas du capitaine John Hensley, enrôlé à 16 ans et décédé à 18 ans, après avoir commandé plus de 200 hommes durant la Première Guerre mondiale, montre que mentir sur son âge est possible.
Durant la Grande Guerre, si l’on découvre que des adolescents se sont enrôlés, on ne les renvoie généralement pas au Canada. Ils restent outre-mer et servent des unités d’entraînement, des bataillons de service et le Corps forestier canadien jusqu’à ce qu’ils atteignent la majorité. En décembre 1916, le 34e Bataillon compte plus de 800 soldats mineurs. Ce fait entraîne l’idée de former un bataillon de garçons, une idée qui se concrétise en juillet 1917 par la création des bataillons de jeunes soldats, appelés Young Soldiers Battalions. La présence de recrues mineures est un enjeu qui ne concerne pas seulement la Première Guerre mondiale.
En 1914, une vague de patriotisme parcourt le Canada et pousse des jeunes hommes dont la tête est pleine d’histoires de gloire impériale passée à vouloir porter les couleurs de leur pays. L’historien militaire canadien Tim Cook estime que plus de 20 000 mineurs canadiens se sont enrôlés. Le plus jeune soldat connu à avoir perdu la vie durant la Grande Guerre est Clifford Oulton (matricule 832241). Né le 2 décembre 1901, Clifford est le fils de George et Dora, originaires de Bridgedale, au Nouveau-Brunswick. Les raisons de son enrôlement le 1er février 1916 ne sont pas claires. Il cherche peut-être à vivre une aventure, à gagner de l’argent, à fuir un conflit avec son nouveau beau-père ou simplement à imiter d’autres patriotes. Le relevé de paye du jeune soldat montre qu’il envoie chaque mois 20 $ à sa mère Dora Hyslop, née Chapman. Cela suggère que celle-ci se serait remariée après la mort du père de Clifford, survenue en 1912, et qu’elle sait que son fils a intégré l’armée. Peu importe sa raison, Clifford arrive à convaincre Harry K. Jack, l’officier du Corps expéditionnaire canadien responsable du recrutement pour le 145e Bataillon (formé au Nouveau-Brunswick), qu’il a 18 ans. Le 25 septembre 1916, il monte à bord du SS Tuscania, en direction de l’Angleterre. Dans son dossier, rien n’indique qu’on a des doutes sur son âge réel.

À ce stade du conflit, le gouvernement décide que les unités arrivant du Canada vont remplacer au combat les unités déjà en place. Ainsi, en vertu de cette politique, Clifford est assigné au 5e Régiment des Canadian Mounted Rifles le 27 octobre 1916. Il passe l’année suivante dans les tranchées avec son unité. Le régiment étant placé au cœur de l’action, Clifford peut s’être retrouvé dans les batailles de l’Ancre, de la crête de Vimy, d’Arras et de la colline 70, dans la troisième bataille d’Ypres et dans les champs boueux de Passchendaele. Durant la bataille de Passchendaele, le régiment perd plus de 60 % de ses effectifs, et Clifford fait partie de ce nombre. La carte indiquant les circonstances de son décès mentionne qu’il est blessé par plusieurs éclats d’obus le 1er novembre 1917. Des alliés arrivent à le sortir des tranchées et à l’amener au poste de secours, mais il succombe un peu plus tard à ses blessures. Comme le veut la coutume à cette époque, sa mère reçoit sa plaque et sa croix commémoratives, ainsi que ses médailles. De son côté, elle fournit une inscription personnalisée à mettre sur la tombe de son enfant : « Il est mort pour Dieu, le roi et le pays ». Clifford Oulton a, à son décès, seulement 15 ans et 334 jours.


Durant la Deuxième Guerre mondiale, la documentation relative à l’âge des soldats révèle une situation similaire à celle de la Grande Guerre. À la fin du conflit, il est décidé que les corps des soldats canadiens, souvent mis en terre à la hâte, seront regroupés, car on croit que, au fil du temps, ceux enterrés en Allemagne ne recevront pas les soins et le respect qui leur sont dus. Cette politique de réinhumation donne naissance à l’un des plus grands cimetières militaires du Commonwealth, situé à Groesbeek, aux Pays-Bas.
C’est là qu’est enterré le plus jeune soldat du conflit, le soldat Barney Rueben McGuigan (matricule F/82574), membre du North Shore Regiment (basé au Nouveau-Brunswick), mais originaire de l’Île-du-Prince-Édouard. Le jeune McGuigan s’enrôle dans l’armée à Aldershot, en Nouvelle-Écosse, le 9 juillet 1943. Le jeune homme souhaite devenir artilleur ou soldat spécialisé dans la lutte antichar. Il affirme avoir terminé sa 7e année de scolarité à 16 ans, en 1941. Il est souvent interviewé et arrive à convaincre bon nombre d’officiers qu’il a l’âge et la maturité nécessaires pour s’enrôler, bien qu’il soit né le 29 mai 1929 et qu’il ait donc, en réalité, à peine 14 ans. Barney donne la véritable adresse de son père et dit que sa mère est décédée. Son dossier indique qu’il mesure 5’7’’ et qu’il a une constitution légère, mais robuste. Il mentionne également que Barney a commis quelques infractions mineures telles des absences aux entraînements, mais rien de majeur. Chaque mois, Barney envoie 20 $ à sa mère adoptive et grand-mère, Rose McGuigan.
Il arrive en Angleterre le 26 novembre 1944, après avoir terminé sa formation de base, et joint le North Shore Regiment le 12 février 1945. Ce régiment fait partie des unités principales impliquées dans le débarquement de Normandie. C’est d’ailleurs lui qui figure sur les images célèbres des Canadiens participant au débarquement. Comme d’autres troupes des Forces armées canadiennes, les membres du North Shore se battent le long de la côte française et en Hollande. En février 1945, ils se frayent un chemin jusqu’à la forêt du Reichswald et avancent vers le centre industriel de l’Allemagne : la Rhénanie.

En date du 12 février, le régiment compte plusieurs pertes et se retrouve grandement impliqué dans l’opération Véritable. Cette bataille se poursuit jusqu’au 11 mars. Les combats de Barney, eux, se terminent cependant bien avant cette date. Le 26 février, soit quatorze jours après qu’il ait intégré le régiment, le jeune homme est tué au combat, mais les détails de sa mort ne sont pas consignés. À ce moment, il a 15 ans et 273 jours. Son dossier militaire comprend une lettre de son père, qui demande à savoir pourquoi son fils a été envoyé au combat en Europe sans sa permission, alors qu’il y avait des hommes majeurs et valides de disponibles. Il semble que ses préoccupations n’ont jamais été formellement prises en compte. L’inscription sur la tombe de Barney indique « Décédé pour l’honneur de son roi et de son pays. Repose en paix. » Si l’on observe la liste des soldats enterrés au cimetière de Groesbeek, on y trouve trois jeunes de 17 ans (Bruno Boutet, Herbert Danielson et Ralph Ash) ainsi que de nombreux jeunes de 18 et 19 ans. Beaucoup de jeunes Canadiens ont perdu la vie aux Pays-Bas.
Dans le contexte d’une réflexion sur le passé, il importe de se rappeler ces histoires, et que ces garçons sont seulement ceux qui ont été identifiés. La guerre consume toujours la jeunesse. Nous ne saurons jamais ce que ces jeunes hommes auraient pu devenir et réaliser.
Article rédigé par Kris Tozer pour Honouring Bravery.
Sources
À noter : les pages Web présentant les dossiers militaires sont en français, mais les dossiers eux-mêmes sont uniquement en anglais.
McGuigan, Barney Ruben, Bibliothèque et Archives Canada.

